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État des lieux de la législation française sur la liberté thérapeutique

Aujourd'hui, en France, l'acupuncture, outil essentiel de la médecine chinoise – mais non le seul, puisqu'il existe d'autres thérapeutiques – est une prérogative des docteurs en médecine : médecins généralistes, spécialistes (neurologues, psychiatres, gériatres...), docteur en chirurgie dentaire et docteur vétérinaire. Ils sont, en outre, les seuls à être autorisés à pratiquer des soins de santé. De ce fait, tout acte médical non donné par un médecin est considéré comme un exercice illégal de la médecine.

Ce n'était pourtant pas le cas au moment où la médecine chinoise a été introduite en France. En effet, c'est Gorges Soulié de Morant (1878-1955), un diplomate français qui, à son retour de Chine comme consul, en 1929, commence à enseigner ses connaissances apprises auprès d'un certain docteur Yang. Il travaille alors à l'hôpital Bichat où il démontre l'efficacité de l'acupuncture et commence à transmettre son savoir à des médecins homéopathes. C'est donc un non-médecin qui a enseigné l'acupuncture à des médecins. Ses résultats étant spectaculaires, les États-Unis lui offrent de fonder une chaire d'acupuncture dans une université. En 1950, Soulié de Morant est proposé au prix Nobel de médecine par son élève, mais la même année une plainte pour exercice illégal de la médecine est portée contre lui par le conseil départemental de l’Ordre des médecins sous l'initiative d'un de ses anciens élèves, le médecin militaire Roger de La Fuÿe, président du syndicat des médecins acupuncteurs de France. Il bénéficiera cependant d'un non-lieu, mais très affecté, Soulié de Morant est victime d’une hémiplégie et décède quelques années plus tard.

Cette histoire rappelle celle d'un des plus grands acupuncteurs non-médecins de ce siècle, Maître Tung (Dǒng Jǐng Chāng 董景昌)  –  qui a légué un "style" d'acupuncture reconnu et utilisé dans le monde. Au début des années 1970, Taïwan entame une procédure d'officialisation des licences des médecins chinois. Maître Tung ne reçoit cependant pas de licence, car formé de façon non officielle par son père, il a reçu l'interdiction de pratiquer – il soigna pourtant plus de 400 000 patients, souvent gratuitement, dans sa clinique, à Taipei (Táibĕi 台北). Peu de temps après, il développe un cancer de l'estomac qui l'emporte en 1975.

Mais reprenons le fil de la procédure de la législation française. Donc, c'est essentiellement par l'action de De La Fuÿe, qui entraînera quelques condamnations pour pratique illégale de la médecine, que l'acupuncture devient en 1953 un acte médical réservé aux docteurs en médecine. Suite à cela, en 1955, le code de la santé publique fait évoluer une loi datant de 1892 :

"Article L. 372 : Toute personne qui prend part habituellement ou par direction suivie, même en présence d'un médecin, à l'établissement d'un diagnostic ou au traitement de maladies ou d'affections chirurgicales, congénitales ou acquises, réelles ou supposées, par actes personnels, consultations verbales ou écrites ou par tous autres procédés quels qu'ils soient, ou pratique l'un des actes professionnels prévus dans une nomenclature fixée par arrêté du ministre de la Santé publique pris après avis de l'Académie nationale de médecine, sans être titulaire d'un diplôme, certificat ou autre titre mentionné à l'article L. 356-2 et exigé pour l'exercice de la profession de médecin, ou sans être bénéficiaire des dispositions spéciales visées aux articles L. 356, L. 357, L. 357-1, L. 359 et L. 360."

Ainsi, l'Ordre des médecins, s'il permet, à juste titre, par cette loi de lutter contre le charlatanisme, fait de la médecine moderne la seule référence en matière de soin de santé.

Enfin, c'est le 3 février 1987 que la sanction s’alourdit, interdisant désormais l'activité d'acupuncture à toute personne n'ayant pas un diplôme d’État de docteur en médecine ou d'un diplôme assimilé.

Quid de la situation en Europe et dans le monde ?

Il est notable de constater que la médecine chinoise s’est implantée dans plus de 100 pays. Il existe environ 100 000 cliniques de médecine chinoise, environ 300 000 praticiens de médecine chinoise et pas moins de 1 000 instituts de formation à la médecine chinoise dans le monde. Selon le rapport fourni par l'OMS pour la stratégie pour la médecine traditionnelle (2014-2023), sur 129 pays 80 % d’entre eux reconnaissent l’utilisation de l’acupuncture : 103 reconnaissent son usage, 29 reconnaissent son usage avec réglementations des prestataires, 18 reconnaissent son usage avec couverture par l’assurance maladie.

En Chine, par exemple, la médecine traditionnelle chinoise et la médecine conventionnelle co-existent à tous les niveaux, et l’assurance maladie publique et privée couvre les deux. Les praticiens de médecine chinoise sont autorisés à exercer à la fois dans les cliniques et hôpitaux publics et privés. L’État et l’assurance privée couvrent intégralement cette médecine, mais également la médecine traditionnelle tibétaine, mongolienne, ouïghoure et dai. Les habitants ou les patients sont libres de choisir la médecine traditionnelle ou la médecine conventionnelle pour bénéficier de soins de santé. Leur médecin peut aussi les conseiller sur les thérapies susceptibles de mieux répondre à leurs problèmes de santé.

Plus proche de nous, en Belgique, en 1999, la loi Colla, du nom de l'ancien ministre de la Santé publique, a été adoptée par le parlement fédéral. C'est un second système de soin parallèle à celui des médecins qui a été créé afin d'améliorer et préserver la santé des patients par les méthodes d'acupuncture, de chiropractie, d’homéopathie et d’ostéopathie.

Si au Luxembourg, la médecine alternative est réservée aux seuls médecins, en Allemagne, par contre l’acupuncteur peut pratiquer sous le même statut de « Heilpraktiker » (qui signifie « praticien de santé », un statut spécifique pour les non-médecins) mis en place par une loi de 1939, sous lequel exercent aussi les naturopathes.

En Suisse, les thérapies alternatives, dont fait partie l'acupuncture, sont reconnues et remboursées par les assurances complémentaires. Le diplôme cantonal donne le droit d’exercice dans tous les cantons suisses et supprime le monopole des médecins. La réglementation est claire : ne pas nuire à la santé, l’obligation d’informer les patients et la non-usurpation du titre de médecin.

"Nuire à la santé" est d'ailleurs passible du droit pénal aux Pays-Bas, médecins ou non. En effet, après le monopole des médecins sur la pratique médicale, l'état a décidé défendre le secteur des soins de santé et créer une profession indépendante de praticien acupuncteur (Loi Générale relative aux professions du secteur des soins de santé individuels, novembre 1993). L'acupuncture est même offerte dans certains hôpitaux et les coûts sont en grande partie couverts par des organisations locales.

Au Royaume-Uni et en Irlande selon le droit coutumier (depuis Jacques Ier, 1567-1625), il existe une liberté totale des soins à condition de ne pas utiliser le titre de « Docteur en médecine ». Il n'y a donc pas de notion d'exercice illégal de la médecine, et les pouvoirs publics cherchent même à protéger la profession d'acupuncteur et les thérapies alternatives d'éventuels charlatans.

Dans les pays d'Europe du Sud cependant, seul le Portugal se démarque en ayant légalisé depuis peu la pratique des médecines non conventionnelles. Si l'Italie a amorcé un changement, elle se retrouve dans une situation similaire au Luxembourg et à la France. Quant à l'Espagne, elle "tolère" la pratique des acupuncteurs non médecins en relaxant généralement ces derniers lorsqu'ils sont poursuivis.

Malgré le rapport A4-0075/97 du 29 mai 1997, du Parlement européen qui encourage la reconnaissance des médecines non conventionnelles, les réglementations n’ont pas beaucoup évolué en France. D'ailleurs, ce même rapport de M. Paul Lannoy propose un moratoire permettant de suspendre les poursuites judiciaires pour exercice illégal de la médecine, exercées, dans certains États membres (notamment en France) aujourd'hui, à l'encontre des praticiens des disciplines non conventionnelles.

Et à raison :

"A. considérant qu'une partie de la population des États membres de l'UE a recours à certaines médecines et thérapeutiques non conventionnelles et qu'il serait en conséquence irréaliste d'ignorer cet état de fait,

B. considérant l'opinion répandue, y compris chez certains médecins, selon laquelle différentes méthodes de traitement voire différentes approches de la santé et de la maladie ne s'excluent pas mutuellement mais peuvent au contraire être utilisées de manière complémentaire,

C. considérant l'importance d'assurer aux patients une liberté de choix thérapeutique aussi large que possible, en leur garantissant le plus haut niveau de sécurité et l'information la plus correcte sur l'innocuité, la qualité, l'efficacité et les éventuels risques des médecines dites non conventionnelles, et de les protéger contre les personnes non qualifiées,

D. considérant que l'ensemble des systèmes médicaux et disciplines thérapeutiques couverts par la dénomination "médecines non conventionnelles" ont en commun le fait que leur validité n'est pas reconnue ou n'est que partiellement reconnue ; considérant qu'on peut qualifier d'"alternatif" un traitement médical ou chirurgical qui peut être appliqué en lieu et place d'un autre traitement, et de "complémentaire" un traitement donné en supplément d'un autre traitement ; considérant qu'il est équivoque de parler de discipline médicale "alternative" ou "complémentaire", dans la mesure où seul le contexte précis dans lequel la thérapie est utilisée permet de déterminer si celle-ci est en l'occurrence alternative ou complémentaire ; considérant qu'une discipline médicale alternative peut également être complémentaire ; considérant que, dans le présent rapport, le terme "médecines non conventionnelles" recouvre les notions de "médecines alternatives", "médecines douces" et "médecines complémentaires" indistinctement utilisées dans certains États membres pour désigner les autres disciplines médicales que la médecine conventionnelle,

E. considérant que le médecin peut, selon sa compétence et sa conscience, recourir à l'ensemble des moyens et de la science que comporte tout type de médecine, afin de préserver au maximum la santé de ses patients,

 

F. considérant qu'il existe un large éventail de disciplines médicales non conventionnelles et que certaines d'entre elles bénéficient d'une forme de reconnaissance légale dans certains États membres et/ou d'une structure organisationnelle au plan européen (formation de base commune, code de déontologie,...) en particulier la chiropraxie, l'homéopathie, la médecine anthroposophique, la médecine traditionnelle chinoise (en ce compris l'acupuncture), le shiatsu, la naturopathie, l'ostéopathie, la phytothérapie, etc..., considérant qu'il existe un large éventail de disciplines médicales non conventionnelles, mais que seules certaines d'entre elles satisfont de façon cumulative aux critères suivants : bénéficier d'une certaine forme de reconnaissance légale dans certains États membres, disposer d'une structure organisationnelle et que la discipline s'auto-réglemente au plan européen,

G. considérant le traité CE et en particulier le Titre III, articles 52 à 66, concernant la libre circulation des personnes et la liberté d'établissement; considérant l'entrave à ces libertés que constitue l'hétérogénéité en matière de statut et de reconnaissance de chacune des disciplines médicales non conventionnelles au sein de l'Union européenne ; considérant le fait que la liberté d'exercice dont jouissent actuellement certains praticiens de santé dans leur pays ne devrait en aucun cas se voir restreinte par une modification du statut ou de l'état de reconnaissance de ces disciplines au niveau européen, ni limiter la liberté de choix thérapeutique des patients vis-à-vis des traitements médicaux non conventionnels ; considérant les obligations découlant du Traité pour les États membres, et plus précisément, celles prévues à l'article 57, paragraphes 1, 2 et 3,

H. considérant le fait qu'une évolution s'est déjà clairement manifestée soit par l'adoption de législations nationales qui libéralisent l'exercice des médecines non conventionnelles en même temps qu'elles réservent certains actes spécifiques à des praticiens autorisés (loi adoptée le 9 novembre 1993 par le Sénat néerlandais intitulée "Beroepen in de Individuele Gezondheidszorg"), soit par l'adoption d'une réglementation spécifique (loi sur les ostéopathes de 1993 et loi sur les chiropracteurs de 1994 au Royaume-Uni, législation sur la chiropraxie au Danemark de 1991, en Suède 1989 et en Finlande), ou par l'officialisation de la formation (la chiropraxie au Royaume-Uni et dans les pays nordiques) ou encore par l'introduction des médicaments dans la pharmacopée (médecine anthroposophique en Allemagne),

I. considérant qu'une législation européenne en matière de statut et d'exercice des médecines non conventionnelles constituerait une garantie pour les patients ; considérant par ailleurs que chaque discipline devrait être à même d'organiser la profession au niveau européen (code de déontologie, registre de la profession, critères et niveau de la formation),

J. considérant le fait qu'il est préalablement nécessaire d'identifier clairement chacune des disciplines médicales non conventionnelles ; considérant qu'à cette fin, il convient de mener les études cliniques, évaluations des résultats de traitement, études fondamentales (mécanismes d'action) et autres études scientifiques ou recherches académiques pour évaluer l'efficacité des thérapies mises en œuvre, étant entendu que cette évaluation doit avoir lieu selon les méthodologies appropriées aux différentes disciplines,

K. considérant le fait que la réglementation et la coordination des critères de formation imposés aux praticiens de disciplines médicales non conventionnelles constitueraient une garantie indispensable pour les citoyens, considérant qu'il est impératif, tant dans l'intérêt des patients que de celui des praticiens, que cette harmonisation s'opère à un haut niveau de qualification, résultant d'un processus rigoureux d'autorégulation au sein même de la profession et débouchant par la suite sur l'obtention d'un diplôme d'État répondant aux exigences spécifiques de chaque discipline ; considérant que les niveaux de formation doivent être appropriés aux spécificités des différentes disciplines médicales non conventionnelles,

L. considérant que la formation des praticiens de médecine conventionnelle devrait inclure une initiation à certaines disciplines médicales non conventionnelles,

M. considérant le fait que la pharmacopée européenne doit pouvoir inclure toute la gamme des produits pharmaceutiques et d'herboristerie des médecines non conventionnelles afin de donner aux thérapeutes la possibilité d'exercer correctement leur profession et, par la même occasion, de garantir aux patients que l'on procédera à une évaluation précise des médicaments non conventionnels ; considérant que, pour les mêmes raisons, il est nécessaire de revoir les directives 65/65/CEE, 75/319/CEE et 92/73/CEE ainsi que le règlement 2309/93 instaurant l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments, garantissant ainsi aux patients la qualité et l'innocuité des médecines non conventionnelles,

N. considérant que le Conseil, dans sa résolution 95/C 350/05 du 30 novembre 1995 sur les préparations à base de plantes médicinales(3), invite la Commission à clarifier le "statut légal des plantes médicinales eu égard aux dispositions communautaires en matière de spécialités pharmaceutiques" et à étudier "les conditions spécifiques à remplir pour assurer la protection de la santé publique",

O. considérant la nécessité de prouver la qualité, l'efficacité et l'innocuité des produits thérapeutiques à l'examen et de prévoir la publication de monographies sur chacun des produits,

P. considérant le fait qu'une législation en matière de compléments alimentaires (vitamines, oligoéléments, etc...), compte tenu de l'état actuel de la législation, contribuerait à protéger le consommateur sans restreindre sa liberté d'accès et de choix et garantirait au praticien qualifié la liberté de prescrire l'usage de tels produits,

Q. considérant l'importance que revêtira le développement et l'introduction, autant que possible, des médecines non conventionnelles dans le secteur zootechnique aux fins de parvenir à une meilleure protection des consommateurs contre les résidus pharmaceutiques dans les produits carnés et d'améliorer le bien-être des animaux dans les élevages actuels en prévision, notamment, de la réglementation désormais imminente des techniques d'élevage biologique,

R. considérant la nécessité d'envisager une phase transitoire permettant à chaque praticien aujourd'hui en activité de se conformer à la nouvelle législation, et de mettre en place une commission d'équivalence qui sera chargée d'examiner, cas par cas, la situation des praticiens concernés, [...]."

Finalement, si l'Organisation Mondiale de la Santé et le Parlement européen recommandent le développement et la réglementation des médecines traditionnelles, nos dirigeants français peinent aujourd'hui à donner un statut légal à l'acupuncture et à la médecine chinoise. Car, d'une part, ça impliquerait de remettre en question la suprématie absolue de la médecine moderne et, d'autre part, ça mettrait à mal l'hégémonie de l'Ordre des médecins sur le champ médical et des intérêts qu'ils défendent  – sans compter le poids du lobby médical.

Mais, heureusement, la demande des concitoyens vis-à-vis d'une législation basée sur le principe de la LIBERTÉ du choix thérapeutique se fait de plus en plus entendre. Rappelons le Code de la santé publique :

 

"Article R4127-6 : Le médecin doit respecter le droit que possède toute personne de choisir librement son médecin. Il doit lui faciliter l'exercice de ce droit."

Si vous voulez en savoir plus sur le sujet, je vous recommande le livre de Christophe Labigne, La Médecine chinoise : Nouvelle voie de santé en Occident, Paris, Dauphin, 2018.

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